Le blog des éditions Libertalia

Entretien avec Richard Vassakos dans Le Biterrois

jeudi 20 janvier 2022 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Paru dans Le Biterrois, décembre 2021.

Historien, chercheur et enseignant, Richard Vassakos vient de publier La Croisade de Robert Ménard. Une bataille culturelle d’extrême droite, aux éditions Libertalia. Au travers de l’exemple du maire de Béziers, il démontre comment l’extrême droite utilise l’histoire comme arme pour mener une guerre culturelle en fabriquant un nouveau roman national via une lecture identitaire du passé.

Richard Vassakos, qui êtes-vous  ?
Je suis professeur d’histoire-géographie au lycée Marc-Bloch de Sérignan et chargé de cours en licence et master à l’université de Montpellier. Je suis également chercheur au sein du laboratoire CRISES de l’université Paul-Valéry Montpellier III, mais aussi dans des programmes de recherche liés à d’autres centres tels que l’Institut d’histoire du temps présent (IHTP université Paris-VIII) et le Centre d’histoire sociale du XXe siècle dans le cadre du «  Maitron  », le Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier (université Paris-I). Mes travaux portent essentiellement sur les affrontements politiques symboliques à l’époque contemporaine.

Votre premier livre portait sur les noms de rues républicains en Biterrois. Comment êtes-vous passé de ce sujet à celui de Robert Ménard ?
Les deux sujets ne sont pas si éloignés l’un de l’autre. Comme je vous le disais, je suis spécialiste des affrontements politiques à travers les noms de rues et la statuaire publique. Or, il se trouve que l’actuel maire de Béziers fait un usage symbolique de l’histoire très important depuis son élection en 2014. Il a ainsi débaptisé la rue du 19-mars dès les premiers mois de son mandat et érigé près d’une dizaine de monuments qui portent tous un sens politique très important. Cela m’a donc intéressé très rapidement, même si au départ il n’était pas dans mes intentions d’en faire un sujet de recherche et un ouvrage. De ce fait, j’ai conservé et collecté de la documentation, des traces de la pratique et des discours historico-mémoriels du maire de Béziers. Dès 2019, avec un recul de plus de cinq ans sur ses pratiques, je me suis mis à réfléchir et à écrire.

Pourquoi parler de «  croisade  » et de «  bataille culturelle ?  »
Parce qu’au-delà des coups d’éclats et du buzz provoqués par ses sorties polémiques, il y a un véritable projet qui consiste à conquérir l’espace public par un récit identitaire et réactionnaire. C’est en ce sens que l’on peut parler de croisade et de bataille car il s’agit d’imposer des thématiques, de gagner la bataille des idées pour ensuite gagner la bataille politique. C’est une bataille avant tout culturelle au sens où l’entendait Antonio Gramsci, un philosophe italien qui a forgé le concept.

Pourquoi avoir écrit un tel pamphlet ?
Il ne s’agit en aucun cas d’un pamphlet. Certains voudraient y voir un travail à charge, mais en réalité j’ai tenu une ligne de conduite très claire qui consiste à utiliser les outils des sciences humaines et sociales pour comprendre un processus à l’œuvre. C’est pourquoi j’ai essayé de me fonder sur des traces tangibles : discours, articles du Journal de Béziers, inaugurations de statues, de noms de rues, etc. à l’analyse, les propos de Robert Ménard révèlent un projet politique et idéologique structuré qui s’enracine insensiblement par cet ensemble de faits.

Que ressort-il de cette analyse ?
Eh bien, alors que Robert Ménard euphémise son positionnement politique en se disant simplement « très à droite », en affirmant se consacrer uniquement à sa ville, il y a en réalité un usage historico-mémoriel qui véhicule des thématiques d’extrême droite telles que la suggestion du grand remplacement, l’idée d’un choc des civilisations et un prosélytisme religieux de plus en plus en visible et en totale contradiction avec l’histoire de la ville. Il en ressort également un certain nombre de méthodes visant à discréditer ses adversaires et à fonder un récit historique totalement fondé sur un prisme idéologique. C’est le cas notamment avec la récupération de figures historiques de gauche comme celles de Jaurès ou de Matteotti et par un usage de la mémoire de la guerre d’Algérie intense et source de division.

En cette période troublée n’est-il pas sensible d’écrire un tel livre ?
C’est justement parce qu’il y a une dilution des repères traditionnels qu’un travail de ce genre me paraît plus que nécessaire. L’anachronisme, le confusionnisme, l’amalgame, le relativisme sont au cœur de la méthode Robert Ménard dans son usage idéologique de l’histoire. Par conséquent, donner des clefs de compréhension, éclairer le citoyen sur les enjeux et les intentions qu’il y a derrière ces pratiques et ces discours me paraît fondamental. Comme le souligne Nicolas Offenstadt dans sa préface, il en va du rôle social de l’historien et plus généralement du chercheur en sciences humaines.