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mardi 8 décembre 2015 :: Permalien
Entretien avec Claude Guillon publié dans Silence (novembre 2015).
Cela fait vingt-cinq ans que le plan Vigipirate a été créé ; quel est son rôle dans le dispositif « antiterroriste » ?
Il est difficile de dater précisément ce genre de système. Il a été activé une première fois pendant quatre mois, en 1991, durant la guerre du Golfe, puis de nouveau en 1995. Il comporte quatre niveaux d’alerte, depuis 2003. C’est, au sens strict, la partie visible par la population d’un iceberg de plus en plus pesant — celui-là ne fond pas ! — qui est surtout constitué d’un arsenal judiciaire sans cesse renforcé au fil des années.
De mandat d’arrêt européen en loi sur le renseignement, de LSQ en Loppsi, de DGSI en Frontex, bien malin qui saurait retenir tous les sigles et s’y retrouver dans le fatras de textes qui s’accumulent, et se contredisent parfois, surtout depuis 1986 et la nouvelle définition du terrorisme. C’est-à-dire : tout et n’importe quoi, selon le bon vouloir des policiers et des juges, ce que l’on désigne pudiquement comme un élément « subjectif ». Après le 11 septembre 2001 l’Union européenne a clarifié la dimension politique et sociale de la définition en listant comme éventuellement « terroriste » l’intégralité des moyens d’action des mouvements sociaux : manifs, occupations, etc. Ces textes sont mal connus du grand public, que Vigipirate est supposé « rassurer », et qu’il habitue à une présence militaire généralisée. Ajoutons que la dénomination de ce plan est cocasse ; il y a quelques années, un slogan le renvoyait à ses références idéologiques naturelles : « Ils sont Vichy, soyons pirates ! »
Vous avez, dans un livre de 2009 critiqué ce système comme instituant une « terrorisation démocratique ». Une explication ?
L’anglicisme assumé qui fait le titre du livre désigne ce qui me paraît être la fonction principale de ce système, autrement dit la stigmatisation et l’intimidation de « catégories dangereuses » : le terroriste, au sens traditionnel, l’étranger (avec ou sans papiers) et le jeune. Ces deux derniers groupes étant supposés délinquants par nature. On l’a vérifié de manière tragi-comique après les tueries de janvier 2015, quand on a arrêté des gamins à l’école, des gens qui s’étaient moqué des flics dans la rue, deux adolescentes qui portaient une pancarte « J’aime mon prophète »… Ce ne sont pas, ou plus, des mesures de circonstance, mais un mode de gestion pénale et politique de la société, et un préservatif contre la radicalisation des révoltes : grèves, mouvements de la jeunesse ou du type « Occupy ».
Pourquoi cet état d’exception permanent est-il si peu contesté ? Quelles résistances inventer ?
Il est frappant de constater, en effet, que les réactions diminuent d’intensité et sont donc inversement proportionnelles au durcissement des lois et des pratiques policières. C’est sans doute en partie dû à ce que ce raidissement est le fait aussi bien des gouvernements de « gauche » que de « droite ». On l’a constaté lors de la mise en place de l’état d’urgence, en 2005, une première depuis la guerre d’Algérie ! qui n’a suscité que des réactions minimalistes et embarrassées, y compris à l’extrême gauche. J’ai republié dans mon dernier livre, Comment peut-on être anarchiste ? (Libertalia, 2015), un texte de présentation de l’Assemblée de Montreuil qui a organisé à l’époque des manifestations, sans autorisations, dont une en plein Paris, la nuit du réveillon. La preuve que les marges de liberté se réduisent d’autant plus qu’on ne les occupe pas… Surveillance et manipulations policières ne sont pas une fatalité écrasante à la Big Brother. Les inculpé(e)s de l’affaire de Tarnac l’ont prouvé, et récemment les animateurs de la bibliothèque anarchiste La Discordia (Paris XXe), qui ont repéré, enlevé et balancé dans le canal un dispositif de surveillance installé dans l’école d’en face. Humour, action directe et désobéissance civile doivent se conjuguer pour résister, matériellement et psychologiquement, à la terrorisation.