Éditions Libertalia
> Blog & revue de presse
> Christophe Naudin dans Le Parisien
mercredi 11 novembre 2020 :: Permalien
Publié dans Le Parisien, le 1er novembre 2020.
La violence, l’abjection, la douleur, il les connaît. Et il n’a pas peur d’en parler. Christophe Naudin, 45 ans, professeur d’histoire-géographie, est l’un des rescapés de l’attentat du Bataclan, perpétré le 13 novembre 2015. C’est d’une plume trempée dans l’horreur qu’il l’a gravé dans son carnet de bord sorti depuis peu aux éditions Libertalia sous le titre « Journal d’un rescapé du Bataclan - Etre historien et victime d’attentat ».
Pourtant, en ce lundi de rentrée scolaire, et à l’heure de l’hommage devant être officiellement rendu à l’un de ses collègues, Samuel Paty, assassiné le 16 octobre dernier à Conflans, le prof d’histoire-géo du collège Dulcie-September d’Arcueil (Val-de-Marne), ne parlera pas à ses élèves de cette nouvelle abomination. Pas directement.
Il dénonce un hommage « réduit »
« J’ai hâte de retrouver les élèves et de pouvoir parler de l’attentat avec eux, mais depuis ce vendredi soir, nous menons, avec des collègues, une réflexion sur cet hommage réduit, imposé par le ministre. Nous ne sommes pas pour, car nous avons pris cela pour une sorte de gifle. »
Après avoir enseigné à Stains (Seine-Saint-Denis), à Vitry, Fresnes et au Kremlin-Bicêtre (Val-de-Marne), Christophe Naudin professe depuis six ans dans ce collège d’Arcueil, auprès d’élèves de six classes, de la 6e à la 4e.
Il trouve « réducteur » l’hommage sous forme d’une minute de silence contextualisée. « Beaucoup de collègues se sont sentis insultés, méprisés. Cette décision a été prise sous prétexte de menaces sanitaires et sécuritaires. S’il y a un vrai danger, on ferme ! On ne réduit pas cet hommage. On avait déjà prévu de travailler sur le long terme, sur la liberté d’expression, comme ce que l’on fait d’habitude. »
« Cette annulation d’un vrai hommage ne va pas annuler une éventuelle attaque », poursuit celui qui, en décembre 2015, ayant lu dans le magazine francophone de l’organisation Etat islamique, Dar al-Islam, une dénonciation du « complot judéo-maçonnique » qui serait à l’origine de l’école républicaine, avait écrit dans son carnet de bord : « Après avoir visé des lieux festifs et de “perversion”, Daech voudrait à présent s’attaquer aux enseignants. Ce n’est pas une grande surprise. »
En préparant sa rentrée dans ce collège de 750 élèves de toutes origines sociales, culturelles et géographiques, Christophe Naudin avait accepté l’idée d’une matinée dédiée à son collègue assassiné, enrichie par une réunion de toute l’équipe du collège. « Nous voulions aussi recevoir nos élèves, échanger avec eux, en binôme. Et ensuite serait venu le temps de la minute de silence et de la lecture du texte de Jaurès. Là, c’est anti-pédagogique. Il est très important d’écouter les élèves. »
Un devoir maison sur Samuel Paty
Ce lundi, le prof et ses collègues en grève communiqueront avec les parents d’élèves. Il se penchera aussi sur le devoir maison qu’il a distribué à ses élèves durant les vacances. « J’avais prévu de les faire travailler sur le procès de Charlie Hebdo, mais à la suite de l’attentat de Conflans, je leur ai demandé de rédiger une sorte de mini-article de journal sur ce qui s’est passé et pour quelles raisons. Avec la possibilité, s’ils le souhaitaient, de dire ce qu’ils en ont pensé. Une façon d’amorcer la discussion à venir. »
Ce dimanche soir, deux élèves avaient déjà rendu leur devoir par mail à ce prof de gauche, activement engagé contre la haine des musulmans. « C’est un travail à moyen et long terme », conclut l’enseignant.
Corinne Nèves