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Briseurs de grève dans Aden

jeudi 6 juillet 2023 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans Aden numéro 19 (septembre 2022).

Valerio Evangelisti est un auteur italien connu pour ses romans historiques et fantastiques. Néanmoins, dans l’œuvre de ce militant de la gauche radicale décédé au printemps 2022, la politique a souvent un rôle important. C’est notamment le cas dans  One Big Union (Un grand syndicat), roman publié en 2012 en Italie et qui propose un récit de l’histoire sociale des États-Unis entre la guerre de Sécession et les années1920. La traduction française a été publiée en 2020 par les éditions Libertalia, sous le curieux titre de  Briseurs de grève.

Le héros du roman, William Coates, est un triste bigot défenseur de l’ordre social raciste et patriarcal qui prévaut à la fin du XIXe siècle états-unien. Engagé par l’agence de détective Burns spécialisée dans la lutte contre le mouvement syndical en plein essor, Coates se révèle un espion efficace et sans scrupule. Il s’infiltre partout, provoque, moucharde et sème la zizanie. La sale besogne n’est pas des plus ardues, tant le mouvement ouvrier est alors divisé entre anarchistes, socialistes et autres utopistes.
L’Agence Burns est une de ces polices privées engagées par un patronat tout-puissant pour contenir des travailleurs réduits à une misère insoutenable. La répression est d’autant plus violente que les rois de la mine et du rail sont littéralement effrayés par la perspective d’unification des différents mouvements révolutionnaires. La création en 1905 du syndicat Industrial Workers of the World (IWW) avec comme mot d’ordre « One Big Union » imprimera à la lutte des classes une tournure féroce. Coates, personnage de fiction, y prendra une place éminente croisant des protagonistes et des situations bien réelles. Evangelisti prend le point de vue de l’ennemi. Il campe un salaud en guise de héros et lui fait détruire tout ce à quoi l’auteur, et, parions-le, un grand nombre de ses lecteurs adhèrent – sans jamais se laisser aller à un discours militant.
Briseurs de Grève n’est cependant pas qu’un roman documentaire : c’est aussi un roman des origines. L’agence Burns dans laquelle sévit Coates deviendra, en effet, dès les années 1920, l’embryon du Bureau of Investigation (BOI), futur Federal Bureau of Investigation (FBI). On comprend alors mieux comment et pourquoi ce dernier, dans les années 1920 et 1930 – et sans doute même jusqu’à aujourd’hui – semble ne pas discerner crime organisé, syndicalisme révolutionnaire et terrorisme. Mais il est, certes, toujours aiguillonné par la persistance de l’idéologie conservatrice nord-américaine, qui n’a pas désarmé depuis l’époque de Coates.
Briseurs de Grève, enfin, est un roman important pour qui cherche à comprendre comment la violente répression du mouvement syndical aboutira, à partir des années 1930, à sa transformation en un syndicalisme de service perméable aux dérives mafieuses.

Stéphane Thomas