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> Brève histoire des socialismes en France dans L’Ours
mercredi 14 mai 2025 :: Permalien
Publié dans L’Ours 541, mai-juin 2025.
Depuis sa biographie de Fernand Loriot, l’un des fondateurs du Parti communiste, parue en 2012 (L’Harmattan, L’Ours 425), Julien Chuzeville poursuit ses recherches sur les courants socialistes et communistes en France sous la IIIe République, sujet de sa thèse soutenue début 2024 sous la direction de Jean-Numa Ducange. Elles nourrissent le présent ouvrage.
La déjà dense bibliographie de Julien Chuzeville porte sur les courants opposés à la ligne de défense nationale des majoritaires socialistes en 1914, suivant leurs parcours jusqu’à la naissance du PC. Elle se distingue par un retour systématique aux archives et notamment à la presse de ces courants, avec un intérêt toujours marqué pour une approche « vue d’en bas », au plus près de l’engagement des militantes et militants sur le terrain des luttes. Il est aussi l’éditeur de sources et d’écrits de militants tels Pierre Monatte ou Boris Souvarine, et travaille sur l’édition de la correspondance complète de Rosa Luxemburg. Il a publié plusieurs articles dans Recherche socialiste (dont « Les courants révolutionnaires et les débats de l’affaire Dreyfus », repris en annexe dans cet ouvrage).
Cette « brève histoire », personnelle et engagée, est placée sous le signe d’une définition de la société socialiste par Rosa Luxemburg en 1918, ce qui n’étonnera pas les lecteurs de ses travaux précédents. Élégamment mis en page dans un format poche, avec un cahier photos, une bibliographie, un index-glossaire des noms cités, l’ouvrage est de belle facture. Sa couverture en rouge et noir, avec son illustration en forme d’insigne mêlant les trois flèches noires et une forme inconnue l’apparente à un livre de propagande, étant entendue ici dans le sens de formation pour que « la grande masse travailleuse cesse d’être une masse dirigée » (pour reprendre les termes de Rosa L.), mais qu’elle aille vers « son autodétermination toujours plus consciente et plus libre ». Elle est aussi déséquilibrée, puisque plus des deux tiers traitent de la période d’avant 1920, et que la suite est abordée au grand galop. Alors, loin d’une histoire-congrès – à telle enseigne que celui de Toulouse en 1908 sert d’exemple pour montrer qu’il n’en sort pas des choses très claires, et qu’en l’occurrence « le texte adopté n’est guère différent d’esprit que le “pacte” de 1905 » –, l’historien a raison d’insister sur les différences des courants « socialistes », sur la recherche à épisodes de leur unité (selon les injonctions de Moscou pour le PC) : mais restent-ils socialistes quand ils ne s’en revendiquent plus à l’instar du Parti communiste ?
La fin du parti politique de gauche
Peu importe finalement, car la grille d’analyse qui court à travers l’ouvrage, c’est que, depuis l’unité socialiste de 1905 brisée en 1914, ce qui était le « parti » socialiste ou communiste, bref le parti politique de gauche, n’est plus :
« D’un lieu d’autoformation de la conscience de classe et de diffusion d’idées en rupture avec la société divisée en classes sociales, permettant de contribuer à une révolution sociale menée par les travailleurs, on est passé à des partis fortement hiérarchisés qui ont pour simple but de faire élire les “bons” dirigeants, lesquelles ont seuls pour tâche de mettre en place la transformation sociale – sans les militants et sans les travailleurs. »
Certes, progressivement, avec des avancées quand les masses s’en mêlent, en 1936 et 1968 notamment. Mais le virage était pris, terminé dans une professionnalisation conduisant à la mort du parti de gauche par la mise à l’écart des « masses » par les « élus ». L’explication est-elle suffisante ? Un peu brève à notre avis, et elle ne renouvelle pas le débat entre conviction et responsabilité.
Reste que cette focale militante permet aussi à Julien Chuzeville de mettre en lumière des figures souvent négligées, des féministes qui revendiquent des droits pour les femmes – à l’instar d’Eugénie Potonié-Pierre, de Léonie Rouzade, ou de la « citoyenne Lamarre » – face à des partis en retard d’un ou deux trains, des anticolonialistes eux en avance d’un combat, toute une galerie d’acteurs et d’actrices qui ont fait cette histoire.
Frédéric Cépède