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vendredi 9 mars 2018 :: Permalien
Dans Le Monde diplomatique, mars 2018.
Grand romancier d’aventure et artisan de fables sociales, B. Traven, l’auteur du Trésor de la sierra Madre – un roman mondialement célèbre depuis la sortie en 1948 du film de John Huston avec Humphrey Bogart –, considérait qu’« un créateur ne saurait avoir d’autre biographie que son œuvre ». Et il passa sa vie à si bien brouiller les pistes qu’on ignore encore aujourd’hui ses date (1882 ?), lieu de naissance et patronyme véritables. On ne connaissait guère qu’une légende d’écrivain-aventurier traversant de nombreux pays et finissant par s’installer au Mexique… Il fallut donc beaucoup de passion et de recherches à Rolf Recknagel (1918-2006) pour mener à bien sa précieuse entreprise biographique. Aujourd’hui publié en format poche par Libertalia, le résultat parut en 1965, et il le compléta quatre fois.
S’il ne résout pas l’énigme des origines, Recknagel parvint à établir sans conteste, et du vivant même de Traven, que ce dernier était bien allemand et qu’il ne faisait qu’un avec Ret Marut, connu en Allemagne de 1907 à 1922 – deux points que ledit Traven s’obstina à nier jusqu’à la fin de ses jours. Dans plusieurs villes, Recknagel a retrouvé les traces de Marut, comédien puis pamphlétaire dans le brûlot Der Ziegelbrenner (Le fondeur de briques). Enfin, durant la révolution des conseils de Munich, en 1919, il est aux côtés de son ami le socialiste libertaire Gustav Landauer. Recknagel établit aussi sa filiation avec l’anarchisme individualiste, et en particulier avec la pensée de Max Stirner, l’auteur de L’Unique et sa propriété.
Il mena ses recherches en historien scrupuleux et en spécialiste de la littérature contemporaine, citant largement les textes de l’auteur, mais aussi les documents et les témoignages retrouvés. Parmi ses nombreux mérites, le moindre n’est pas de donner sans conteste l’envie de lire, ou de relire, les romans de Traven. En complément de cette biographie, signalons la parution d’un tout petit, mais réjouissant, recueil de nouvelles, Le Gros Capitaliste. On y apprendra comment un Indien déconcerte un industriel yankee adepte des « bienfaits de la croissance », ou encore comment une communauté indienne conçoit la démocratie directe, refusant tout privilège au chef.
« Ma vie m’appartient, seuls mes livres appartiennent au public », disait B. Traven. Cependant, beaucoup de ses œuvres restent à traduire. Pour la période de 1912 à 1921, seules quelques nouvelles l’ont été, en dehors de la petite anthologie du Ziegelbrenner parue à L’Insomniaque. Pour la période allant de 1926 à sa mort, plusieurs romans sont inédits en français – Der Wobbly (1926), Der Marsch ins Reich der Caoba. Ein Kriegsmarsch (1933), Die Troza (1936)… Alors qu’on lui demandait quel livre il emporterait sur une île déserte, Albert Einstein aurait répondu : « N’importe lequel pourvu qu’il soit de B. Traven ! » Le conseil vaut d’être suivi. Mais, s’il fallait tout de même choisir parmi la bonne quinzaine de titres disponibles (La Révolte des pendus, Indios, etc.), ce serait Le Vaisseau des morts (1926) et Le Trésor de la sierra Madre (1927). Sans doute parce qu’il y a mis beaucoup de lui-même et de son expérience : pour le premier, celle de l’échec des révolutions européennes des années 1918-1920, et de la condition d’un sans-papiers livré à la plus cynique exploitation capitaliste ; pour le second, celle de l’échec de la course au profit, qui tourne à l’obsession, voire à la folie.
Les cendres de celui qui fut un ardent défenseur des populations indiennes ont été dispersées au-dessus des forêts du Chiapas, là où, le 1er janvier 1994, débuta l’insurrection zapatiste. Une autre histoire…
Charles Jacquier