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Avec tous tes frères étrangers sur Retronews

mardi 27 février 2024 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié le 20 février 2024 sur Retronews, le site de presse de la BNF.

Des immigrés dans la Résistance : le « groupe Manouchian »

Alors que l’on s’apprête à célébrer l’entrée au Panthéon des résistants Missak et Mélinée Manouchian, nous avons rencontré les auteurs de l’ouvrage Avec tous tes frères étrangers, qui retrace l’histoire des FTP-MOI et avec eux, celle des luttes des ouvriers étrangers en France et du militantisme internationaliste des années 1920 à 40.

Nombre d’entre nous résument l’histoire du groupe de résistants dont les Manouchian faisaient partie, les FTP-MOI (Francs-Tireurs et Partisans/Main-d’œuvre immigrée), à celle des dix visages de la fameuse Affiche Rouge. C’est oublier que l’existence de la « Main-d’œuvre Immigrés » s’inscrit dans le temps long des luttes des ouvriers étrangers en France et du militantisme internationaliste.

Pour en parler, nous avons demandé leurs avis à Jean Vigreux, professeur d’histoire contemporaine à l’université de Bourgogne Franche-Comté, et à Dimitri Manessis, docteur en histoire. Ils viennent de rédiger ensemble un livre consacré à la MOI, Avec tous tes frères étrangers (Libertalia, 2024) dans lequel il replace justement la création de cette organisation dans le contexte plus large de l’entre-deux-guerres avant d’évoquer sa spécificité au sein de la Résistance et les contradictions que portent ses mémoires.

Retronews : Un point important de votre livre permet de dépasser une vision réductrice des FTP-MOI et de replacer leur action dans le cadre beaucoup plus large des combats des immigrés en France à partir des années 1920. Pourriez-vous nous en dire plus ?

Dimitri Manessis : Cette remarque renvoie à l’intérêt que nous avons eu à écrire ce livre. Nous souhaitions tout d’abord insister sur le fait que dans le sigle FTP-MOI il y a MOI (Main-d’œuvre immigrée), qui s’appelle, jusqu’en 1932, la MOE (Main-d’œuvre Étrangère). Ensuite, nous voulons offrir une synthèse de cette MOI avant, pendant et après la Guerre.
La MOI apparaît donc dans le contexte de l’immédiate après Première Guerre mondiale, à un moment où la France décimée fait appel pour se reconstruire à une force de travail étrangère qui arrive par centaines de milliers dans l’Hexagone. À la même époque, on observe aussi une importante recomposition des gauches suite à la Révolution d’octobre et la division entre socialistes et communistes. Ces derniers cherchent alors à appliquer concrètement un certain nombre de valeurs et de doctrines qui sont celles de l’Internationale communiste, notamment l’internationalisme prolétarien, c’est-à-dire d’envisager le combat de classe comme un combat dépassant les frontières. Par conséquent, pour les communistes, les prolétaires autochtones ou étrangers ont leur place à égalité dans les luttes en France. Aussi vont-ils très naturellement construire une organisation qui leur est dédiée : la MOE, d’abord dans le champ syndical, dans la CGT-U, puis au sein du PCF et de ce qui est appelé « groupes de langues ». Cette structure devient aussi un outil pour se confronter à la xénophobie présente non seulement dans la société en général, mais également dans le mouvement ouvrier et parfois même communiste. Or ces préjugés, aux yeux des militants, empêchent le libre développement du combat de classe.

Jean Vigreux : Une partie de cette main-d’œuvre étrangère vient en effet en France pour des raisons économiques. Le père du futur FTP-MOI Rino Della Negra, auquel Dimitri et moi avons consacré un précédent livre, est ainsi un briquetier frioulan qui part reconstruire le Pas-de-Calais. Mais il ne faut jamais perdre de vue qu’il y a aussi tout au long de l’entre-deux-guerres une immigration politique de gens qui survécu au génocide des Arméniens, d’autres qui fuient l’arrivée des fascistes au pouvoir en Italie, les régimes autoritaires en Europe centrale et orientale puis le nazisme en Allemagne. Pour ces hommes et ces femmes, la France constitue alors un refuge évident, car ils ont d’elle une image idéalisée. Ils l’assimilent au pays des droits de l’homme, à une terre où il existerait une égalité des races et de religion depuis la Révolution française.

C’est assez frappant, car la France est également le pays de l’affaire Dreyfus. Or, nombre de membres de la MOI sont des Juifs venus d’Europe de l’est.

Jean Vigreux : Oui, mais ils restent fascinés par un récit qui fait de l’Hexagone un pays émancipateur, universaliste, qui met en avant des événements comme la Révolution française, celle de 1848, les démocs-socs de 1849, la Commune, Jaurès. La France, c’est aussi le pays de fondation de la Ligue des droits de l’homme, le pays où s’installe en 1928 la LICA (Ligue internationale contre l’antisémitisme).

Dimitri Manessis : Pour aller plus loin, la France a certes une longue tradition antisémite, mais c’est également un pays où, à la différence de ce qui peut se passer ailleurs en Europe, il n’y a pas de pogroms. Néanmoins, la vision idéalisée qu’ont les militants immigrés de la France va vite se heurter à la réalité.

Durant l’entre-deux-guerres, la MOI regroupe des hommes et de femmes de quelles origines ?

Dimitri Manessis : Il faut d’emblée préciser quelque chose. La MOI n’inclut pas des hommes et des femmes issues des colonies. Ceux-ci sont organisés séparément de la MOI qui est, elle, essentiellement européenne. Les instances communistes justifient cette division de la spécificité des travailleurs coloniaux par la question de la lutte pour l’indépendance nationale – qui est au centre de la propagande que vont mener les militants du Komintern. En somme, les mots d’ordre pour la main-d’œuvre venue des colonies sont « lutte de classe et lutte de libération nationale » alors que l’on insiste presque exclusivement sur la lutte des classes auprès de la main-d’œuvre étrangère.

Jean Vigreux : Pour revenir à la MOI, le recrutement se fait essentiellement dans la classe ouvrière, avec des maçons, des briquetiers, des hommes et femmes travaillant dans l’industrie métallurgique, automobile ou textile. Toutefois, il y a des différences en fonction des origines. Ainsi, les « yiddishophones », comme ils sont appelés au sein de la MOI, sont constitués de petits artisans travaillant notamment dans les métiers du cuir ou de la confection et qui ne sont pas employés dans de grosses usines. C’est une autre forme de prolétariat qui montre la grande diversité des classes populaires dans cette France de l’entre-deux-guerres.

Dimitri Manessis : Pour compléter ce tableau, ajoutons aussi que les cadres de la MOI sont d’abord recrutés au sein de l’émigration politique, au moins jusqu’à la période du Front populaire. Ce sont des militants des partis communistes exilés qui ont, pour beaucoup, une expérience de la clandestinité.

L’insistance sur ce qui est désigné par la suite comme le « groupe Manouchian » donne une image très parisienne de la MOI. Pourtant, vous rappelez que l’organisation est active dans de nombreuses régions de l’Hexagone.

Dimitri Manessis : En effet. Nous souhaitions sortir d’une histoire trop parisienne pour montrer que la MOI est présente dans de nombreux endroits en France, notamment dans les grands bassins d’emploi industriels.

Jean Vigreux : Pour visualiser les principaux lieux de recrutement de la MOI, il suffit de regarder la carte industrielle de la France durant l’entre-deux-guerres. On remarque ainsi d’importantes concentrations de militants dans le Pas-de-Calais et le Nord, soit le bassin minier et l’industrie textile, mais aussi dans l’Est où se trouve les usines sidérurgiques, à Paris, à Lyon, à Toulouse, à Marseille, etc.

Malgré l’image idéalisée qu’ils ont de la France, les membres de la MOI sont vite confrontés à une sévère répression.

Dimitri Manessis : Oui. Tout au long de l’entre-deux-guerres, la répression anti-communiste est forte. Celle-ci touche à la fois les militants français et étrangers, mais ces derniers subissent une forme de double peine. La législation à l’époque impose en effet qu’un étranger ne puisse pas s’engager dans la vie politique hexagonale. Aussi un membre de la MOI peut risquer l’expulsion, ne serait-ce que pour avoir distribué un tract. Cela peut avoir des conséquences tragiques lorsque l’on renvoie ces militants dans des pays sous la coupe de régimes autoritaires…

Jean Vigreux : Le discours du ministre de l’Intérieur Albert Sarraut à Constantine en avril 1927 durant lequel il affirme « Le communisme, voilà l’ennemi ! » donne une idée des rapports tendus entre l’État et les communistes. Précisions toutefois qu’à certaines périodes, la répression est plus ou moins forte. Pour schématiser, celle-ci a été continue de 1919 à 1935. Le Front populaire a constitué une brève accalmie, puis cela se durcit à nouveau en 1938 avec l’arrivée de Daladier au pouvoir.

On retrouve ce discours bien au-delà des instances gouvernementales. Ainsi, en 1937, le journal patronal L’Usine s’insurge contre ce qu’il estime être « un fait intolérable : tous ces communistes étrangers [qui] se mêlent ouvertement à la vie politique en France. »

Jean Vigreux : L’extrait que vous citez est intéressant, car il date de 1937. Or, à ce moment, tout un pan du patronat explique les grèves de 1936 en disant que les « bons » ouvriers français auraient subi l’influence délétère des « mauvais » ouvriers étrangers. On cible à travers ce propos les Italiens, les Espagnols, les Juifs, et ce d’autant plus facilement qu’après la crise de 1929 se diffuse en France un discours anti-immigrés. Ainsi, le député de droite Louis Fourès affirme en mars 1933 qu’il y a « chez nous, 2 900 000 étrangers, dont 1 200 000 salariés. Nous avons 331.000 chômeurs. Si la moitié des étrangers partait, le chômage serait vaincu ».

Dimitri Manessis : Il faut avoir à l’esprit que l’anticommunisme d’État est, de fait, une politique xénophobe. La peur du communisme est alors une peur de l’étranger. Tout cela se résume à ce que l’on appelle aujourd’hui une forme de complotisme : le parti communiste serait « le parti de l’étranger ». Voilà pourquoi nombre de dirigeants du PCF sont accusés d’atteinte à la sûreté de l’État.

Comment réagit la MOI face à la guerre d’Espagne ?

Jean Vigreux : C’est elle qui initie l’idée des Brigades internationales pour défendre la république espagnole face à Franco, ce qu’André Marty refuse au début, mais que Maurice Thorez accepte – ce qui montre bien que le PCF n’est pas aussi monolithique qu’on le pense.

Dimitri Manessis : Oui, c’est une initiative qui vient de la périphérie de la périphérie et qui finit par s’imposer au sein des instances dirigeantes de l’Internationale communiste. On peut parler d’un mouvement du bas vers le haut.

Jean Vigreux : Comme le dit Dimitri, les militants de la MOI ne se contentent pas de suivre des directives. Beaucoup partent en Espagne, car là-bas ils peuvent enfin se battre face à un fascisme qu’ils avaient auparavant dû fuir. Les résistances qui n’ont pas pu être mises en place en Italie contre les mussoliniens, en Allemagne face au nazisme ou en Europe orientale et centrale face aux dictateurs locaux, se transposent dans la péninsule ibérique pour défendre un régime républicain de Front populaire.

Cet engagement dans les brigades internationales a-t-elle une influence sur la Résistance.

Oui, notamment sur les plus anciens, qui passent des brigades à la Résistance et utilisent ce qu’ils ont appris durant la lutte contre Franco dans le combat contre l’occupant nazi. Sur les vingt-trois du groupe dit Manouchian, cinq ont été membres des Brigades internationales.

Quelles sont les spécificités de la MOI dans la Résistance ? Vous dites dans votre livre qu’elle a été un des « fers de lance » de la lutte contre l’occupant.

Jean Vigreux : Oui. C’est d’ailleurs le cas dans de nombreux endroits en France. À titre d’exemple, en région parisienne, entre 1942 et 1943, les FTP-MOI font plus de 220 actions, dont l’une des plus connues reste l’exécution du général SS Julius Ritter en septembre 1943. À Toulouse ou à Lyon, ils exécutent des juges vichystes. Bref, ils harcèlent en permanence les occupants et les collaborateurs. Cela s’explique notamment par le fait que le PCF est jusqu’à début 1943, au sein de la Résistance, la seule organisation à prôner la lutte armée.

Dimitri Manessis : Cette particularité doit aussi beaucoup au fait que certains rejoignent les FTP-MOI pour échapper à la prison ou à la déportation du fait de leurs origines. C’est pour eux une question de survie.

Jean Vigreux : Je pense à ce titre à Marcel Rajman. Même s’il avait des convictions avant, l’arrestation et la déportation de son père jouent un rôle central dans son engagement et dans sa volonté de se battre.

Quelle fut la place des femmes au sein des FTP-MOI ?

Jean Vigreux : Pour se loger, les combattants ont besoin d’appui ; ce sont des femmes qui leur amenaient les armes. Olga Bancic joue ainsi un rôle fondamental. Elle gérait plusieurs appartements qu’elle avait convertis en caches pour les armes. Ce type de militantisme de l’ombre reste important. Encore aujourd’hui, on parle beaucoup des fusillés, et très peu des déportés. C’est notamment pour cela que la dénomination de « groupe Manouchian », qui en réalité n’a jamais été celle utilisée par les FTP-MOI, est trompeuse.

Dimitri Manessis : D’ailleurs, pour nombre de combattantes juives, la reconnaissance de leur déportation pour fait de résistance a été compliquée, voire impossible. Je pense en particulier au cas de Macha Ravin dont j’ai édité le témoignage. Parler de ces femmes permet un peu de s’éloigner d’une vision virilisante des combattants des FTP-MOI.

Jean Vigreux : On peut aussi ajouter à cette liste Cristina Boïco, qui s’occupait du renseignement des FTP-MOI. C’est elle qui repère Julius Ritter par exemple…

Qui a mené la répression des FTP-MOI ?

Jean Vigreux : La Police française, via notamment les brigades spéciales. C’est à elle que s’en remet la Gestapo (ou plus exactement, au SIPO-SD) parce que c’est elle qui a les moyens d’organiser des filatures de grande ampleur. Et ce n’est pas seulement le cas à Paris. Ce sont aussi des policiers français qui traquent les FTP-MOI en Province, à Marseille, à Toulouse, à Lyon, à Grenoble, etc. En dépouillant les archives, nous nous sommes même aperçus d’un élément qui nous a fait froid dans le dos. Un rapport officiel du 3 décembre 1943 classe ainsi les militants communistes interpellés en plusieurs catégories : « Français aryen », « Français juif », « étranger aryen », « étranger juif ». Cela montre que la police a intégré dans son fonctionnement le discours qui assimile le communisme à un complot de l’étranger, reprenant non seulement l’idéologie de la Révolution nationale, mais aussi celle des nazis.

Dimitri Manessis : Les brigades spéciales sont certes créées par Vichy, mais elles sont pour partie issues des renseignements généraux. Certains des membres des brigades spéciales ont ainsi déjà participé à la lutte contre les militants du PCF et de la MOI durant les années 1930. Il y a donc bien une forme de continuité entre la répression anti-communistes de l’entre-deux guerres et celle lancée sous l’Occupation, même si cette dernière a ses spécificités.

Cette continuité du discours de l’entre-deux guerre sur les étrangers militants transparaît aussi dans la presse. Au moment de l’exécution du groupe dit Manouchian en février 1944, le journal collaborationniste Paris-Soir explique que « LE MOUVEMENT OUVRIER IMMIGRÉ était dirigé par des Juifs qui prenaient leurs ordres à Moscou » ?

Dimitri Manessis : Oui, tout à fait. D’ailleurs, on remarque que le sigle de la MOI est travesti pour lier le mouvement ouvrier (donc communiste) et l’immigration. C’est aussi le propos du texte de la brochure qui accompagne la diffusion de l’Affiche rouge par les autorités d’occupation.

Jean Vigreux : Et tout cela est relayé sur l’ensemble du territoire par une presse collaborationniste aux ordres. Malgré cela début 1944, cette propagande ne fonctionne plus.

L’engagement des FTP ne s’arrête pas avec l’exécution du groupe Manouchian. Quel est leur rôle au moment de la Libération ?

Jean Vigreux : Bien sûr, l’activité continue après et d’ailleurs, tous les FTP-MOI de la région parisienne ayant pu échapper à la répression sont envoyés dans d’autres régions. Des groupes FTP-MOI participent ainsi à la libération de Toulouse, de Lyon, de Marseille. Ils sont aussi présents dans les maquis. Par exemple, dans les Cévennes, l’un des groupes est composé d’antifascistes allemands dirigés par Otto Kühne, ancien député communiste au Reichstag. On remarque aussi que les noms de ces groupes de FTP-MOI (« Valmy », « Marat », « Liberté ») renvoient à l’univers de la Révolution française à tout ce récit alternatif de l’Histoire de France mis en avant par PCF durant le Front populaire.

Après-guerre, quelle mémoire va se développer autour des FTP-MOI ?

Dimitri Manessis : En France, la mémoire des FTP-MOI n’est pas du tout mise de côté par le PCF, comme le montre cet extrait du journal Ce soir du 22 février 1951. Cela s’explique tout d’abord dans le contexte de la Guerre froide. En France, la mémoire globale de la Résistance est ainsi utilisée contre les Américains, comparés à de nouveaux occupants (et ceux qui les soutiennent à des collaborateurs). Ensuite, il ne faut pas oublier qu’à la fin des années 1940 et au début des années 1950, des étrangers communistes sont réprimés en France et sont expulsés, y compris des anciens de la MOI. Les communistes français vont alors mettre en place des structures de défense qui emploient le souvenir des MOI comme un moyen de dresser à nouveau un parallèle entre la période de l’Occupation et leur lutte.

Jean Vigreux : J’ajouterai deux choses. Tout d’abord, dès 1945, cette mémoire des MOI est organisée et qu’il y a des commémorations structurées. Pensons au poème d’Éluard « Légion » en 1951 ou celui d’Aragon (« Strophes pour se souvenir » en 1955, repris par la suite en chanson par Léo Ferré).
Ensuite, certains anciens des FTP-MOI venus de l’Europe orientale et centrale repartent dans leur pays d’origine pour aider à la construction des régimes socialistes, comme Cristina Boïco en Roumanie, Boris Holban ou Artur London. Mais très rapidement, ils y sont victimes des purges staliniennes et reviennent se réfugier en France. London par exemple est sauvé de l’exécution par le PCF, notamment grâce à sa femme, Lise Ricol. Une fois de retour en France, il rédige L’Aveu (1968) dans lequel il témoigne de l’épuration violente dont il a été la cible en Tchécoslovaquie – et qui sera par la suite adapté en film par Costa-Gavras en 1970.

Dimitri Manessis : C’est vrai. Si certains anciens de la MOI qui sont repartis réussissent à faire carrière dans l’appareil d’État des pays de l’Est, beaucoup d’autres sont au contraire en proie à la suspicion, voire pour une partie d’entre eux à l’antisémitisme. Celui-ci n’est pas évoqué au sein du PCF durant les années 1950, mais dix ans plus tard, avec l’apaisement de la Guerre froide, cela change. Aussi, je me souviens avoir lu des comptes-rendus de l’UJRE (Union des Juifs pour la Résistance et l’entraide) dans lesquels des membres s’insurgent de ce qui se passe en 1968 en Pologne, où le gouvernement lance une campagne antisémite qui touche d’anciens FTP-MOI. Bref pour beaucoup de ces derniers, l’Après-guerre a également été une période de désillusion. Ce qui ne veut pas dire que tous rompent avec leur engagement communiste. Au contraire même…

Pour finir, quel regard jetez-vous en tant qu’historien, sur l’entrée au Panthéon de Missak et Mélinée Manouchian ?

Jean Vigreux : C’est un geste fort. C’est reconnaître la place de la lutte armée et du Parti communiste dans la Résistance. C’est aussi reconnaître le rôle des étrangers dans la Résistance, car en plus de l’entrée de Missak et Mélinée Manouchian au Panthéon, une plaque portant la liste des noms du groupe plus Joseph Epstein va être apposée dans le monument. De ce côté-là, on ne peut que saluer cette initiative. Mais en même temps, il y a cette loi immigration qu’heureusement le Conseil Constitutionnel a en partie retoquée. C’est paradoxal.

Dimitri Manessis : Je partage l’opinion de Jean. La politique que mène l’actuel gouvernement, que ce soit du point de vue des étrangers, mais aussi d’un point de vue économique et social, est à l’opposé de ce qu’a pu défendre la MOI. Maintenant cette panthéonisation est là. Aussi, je pense que cette commémoration, comme n’importe quelle autre, peut être l’occasion de faire de l’histoire, de discuter, de faire découvrir la vie de ces militantes et militants dans leur diversité. D’ailleurs, nous serons attentifs à tous les discours tentant de profiter de cet événement pour créer une opposition entre de « bons » immigrés, qui seraient ceux du groupe Manouchian, et de « mauvais » immigrés qui seraient ceux d’aujourd’hui.

Propos recueillis par William Blanc