Éditions Libertalia
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mardi 9 décembre 2008 :: Permalien
Ce qui est stupéfiant avec certains journalistes, c’est qu’ils n’ont honte de rien.
Il y a un mois, mardi 11 novembre, alors que nous défilions devant le centre de rétention de Vincennes pour protester contre la réouverture de cette prison pour étrangers, Michèle Alliot-Marie, la cheftaine des cognes de France, annonçait triomphalement à la presse qu’elle avait enfin démantelé le réseau des terroristes « anarcho-autonome d’ultragauche ». Le lendemain, mercredi 12 novembre, le journal Libération commettait sa une la plus putassière depuis longtemps : « L’ultragauche déraille. » À ce moment-là, Laurent Joffrin, le directeur de la publication, ne se posait pas la question de la présomption d’innocence des interpellés. Puisque la ministre et le procureur l’avaient clamé si fort, les méchants gauchistes étaient forcément coupables. Du temps a passé depuis, les preuves annoncées ont fondu comme neige au soleil et la baudruche sécuritaire se dégonfle. Saint Joffrin veut se refaire une virginité. Aujourd’hui, dans Libé, il affirme sans détour : « Un jour, s’il se confirme que ces terroristes n’en sont pas, la ministre devra répondre de cette injustice. »
Ce qui me choque dans toute cette histoire, dans le traitement médiatique qui a été réservé à « l’affaire », c’est la critique quasi-poujadiste du savoir et de la lecture. Il y a quinze jours, sur France 2, dans l’émission Complément d’enquête, les journalistes effrayaient le quidam en filmant la bibliothèque d’un des interpellés et affirmaient, péremptoires : « Ils lisent Marx et Debord. » Frisson, grand frisson. Et puis on nous a rebattu les oreilles avec L’Insurrection qui vient, qui est un livre qui m’énerve (je ne crois pas à l’invisibilité et je pense que les orgas sont indispensables) mais que je trouve joliment écrit.
Au rythme où l’on va, ce sont bientôt les libraires et les profs qui seront criminalisés, coupables d’avoir diffusé ou fait lire Les Justes de Camus, Le Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations de Vaneigem, ou le Journal du voleur de Jean Genet.
Allez, je vous laisse, j’ai cours. Mes élèves turbulents étudient Claude Gueux. J’espère que ça ne m’attirera pas d’ennuis parce que chez le vieil Hugo, la critique du système est sacrément radicale…
N.N.