Le blog des éditions Libertalia

14-19. La Mémoire nous joue des tours

lundi 17 novembre 2014 :: Permalien

Au théâtre de la Belle Étoile jusqu’au 21 décembre, puis en tournée.
Voir le site de la compagnie Jolie Môme.

14-19.
La Mémoire nous joue des tours

C’est au terme d’une année principalement consacrée aux luttes des intermittents que la compagnie Jolie Môme présente son nouveau spectacle sur la période 1914-1919 : La Mémoire nous joue des tours. Bien que montée en quelques semaines, cette pièce d’une durée d’une heure quarante-cinq est pourtant l’une des plus réussies parmi toutes celles que la troupe de Saint-Denis (93) a présentées ces dernières saisons.

Sur scène, ils sont une dizaine, dont quatre comédiennes. Le récit débute le 31 juillet 1914, en musique, autour de la figure de Gaston Brunswick, dit Montéhus, auteur de chants révolutionnaires anticonceptionnistes et antimilitaristes comme La Jeune Garde, La Grève des ventres ou encore Gloire au 17e. C’est à Cyril Chellal, un vétéran de la compagnie, qu’échoit le rôle du chansonnier, ami de Lénine, qui bascula peu après, à l’instar de la grande majorité du mouvement ouvrier, dans le camp belliqueux et cocardier. C’est ce même 31 juillet 1914 qu’est assassiné Jaurès au café du Croissant et, comme le rappelle la troupe, l’oraison funèbre du leader socialiste permit à Léon Jouhaux, responsable de la CGT, de justifier son ralliement à l’union sacrée : « Jaurès a été notre réconfort dans notre action passionnée pour la paix. Ce n’est pas sa faute, ni la nôtre, si la paix n’a pas triomphé. Avant d’aller vers le grand massacre, au nom des travailleurs qui sont partis, au nom de ceux qui vont partir, dont je suis, je crie devant ce cercueil toute notre haine de l’impérialisme et du militarisme sauvage qui déchaînent l’horrible crime. […]
 Acculés à la lutte, nous nous levons pour repousser l’envahisseur, pour sauvegarder le patrimoine de la civilisation et d’idéologie généreuse que nous a légué l’histoire. » Les sociaux-démocrates allemands (y compris Karl Liebknecht) qui voteront les crédits de guerre ne diront pas autre chose. Dès lors, les peuples pourront s’entretuer.

Les résistances ouvrières à la guerre sont incarnées par le personnage (rajeuni) de Rosa Luxemburg [Marie Chassot], pleine d’allant révolutionnaire et d’espoir en l’avenir, infatigable et sémillante internationaliste. La mise en scène de Michel Roger propose de nombreux moments cocasses, à l’image du face-à-face entre Max de Bade, dernier chancelier de l’Allemagne impériale (1918) confiant le pouvoir au social-démocrate Friedrich Ebert. Celui-ci arbore un beau costume de parlementaire, une cravate rose et des bretelles rouges (pour le prolétariat) bien cachées sous sa veste, mais qu’il sait exhiber à chaque moment opportun.

Spectacle brechtien à visée pédagogique convoquant la mémoire militante mais également divertissement en musique et en rythme, La Mémoire nous joue des tours est l’une des rares pièces du moment à s’inscrire dans une tradition du théâtre de tréteaux au service de ceux d’en bas. À ne pas manquer.